C’est selon nous, une question plus complexe, et en tout cas plus urgente que celle du mythe d’une « grande Sécu ».
Parmi les paradoxes de la crise, les pénuries de personnels soignant dépassent les normes habituelles alors que le pays redémarre et que l’État réalise des efforts budgétaires conséquents avec les différents Ségur. Cette crise se dédouble avec celle des déserts territoriaux sanitaires et médicaux. Maigre consolation, la majorité des pays développés connaissent des situations similaires.
En France, les données connues doivent, toutefois, être interprétées avec prudence. Le capharnaüm classique des médias audiovisuels, toujours dans l’excès, ne doit pas supplanter l’analyse sérieuse des faits. Cependant cette situation inquiète par son ampleur potentielle et sa permanence possible. Les facteurs explicatifs d’un surcroît de pénuries sont latents : salaires insuffisants, faibles perspectives de carrières, craintes de burn-out professionnels, perte de motivation, séquelles de management peu avisé, relation difficile avec les patients dans un contexte émotionnel fort… Tous ces facteurs concourent au climat pessimiste général.
Dans les hôpitaux, la situation, déjà tendue avant la crise sanitaire, prend parfois une dimension aiguë. Autre paradoxe, dès le 27 octobre prochain, ils se verront appliquer le système de plafonnement de l’intérim médical, suite aux abus dénoncés par les parlementaires, y compris Olivier Véran en son temps. Lequel intérim pèse pour près de 18 % du coût salarial des médecins dans le public ! Face à ce qu’ils considèrent « comme un remède pire que le mal », les gestionnaires ont demandé un délai au ministère de la Santé. Pour d’autres catégories de personnel et dans les autres domaines ; si les variables explicatives diffèrent en partie, la tendance est similaire.
Que faire alors ? Il faut agir par une accélération des mesures salariales, favoriser une attractivité des métiers pour la progression professionnelle ; peut-être, mettre le holà aux appétences du secteur privé, et surtout repenser l’organisation de l’offre de soins et des services. Le management des établissements est aussi questionné. Cela suffira-t-il ? Pas sûr. Il y a bien un défi d’argent public dans cette affaire. Mais il y a aussi un enjeu moral autour du sens de l’engagement de chacun. Soigner et accompagner les personnes n’est jamais un choix anodin.