« Des progrès trop lents, un changement d’échelle indispensable ». Tel est le constat dressé par la Cour des comptes dans son rapport sur la lutte contre la fraude aux prestations sociale, publié le 8 septembre dernier.
Dans ce rapport commandé par la commission des Affaires sociales du Sénat, les Sages de la rue Cambon ne se sont pas aventurés à présenter une estimation globale, «les données disponibles ne permettant pas de parvenir à un chiffrage suffisamment fiable».
Et pour cause, seule la branche famille procède à une telle évaluation. Pour 2018, elle a estimé le montant de la fraude, détectée ou non, à 2,3 Mds€ soit 3,2% du montant des prestations versées (principalement le RSA, prime d’activité et aides aux logements).
La fraude détectée par les principaux organismes sociaux a atteint quant à elle 1 Md €, l’année dernière. « Ce montant connaît une augmentation continue quoiqu’inégale entre les organismes et dans le temps », note la Cour. Côté famille, 324 Ms d’€ de préjudices ont été identifiés (3,6 fois plus qu’en 2010). Les branches maladie et vieillesse en ont repéré respectivement 287 Ms d’€ (1,8 fois plus qu’en 2010) et 160 Ms € (2,2 fois plus qu’en 2013).
Pour la Cnaf, le RSA représente à lui seul 46% de ces irrégularités. L’omission et les fausses déclarations s’imposent comme le premier mode opératoire (69%). A l’Assurance maladie, les professionnels, les établissements de santé et médicaux-sociaux concentrent l’essentiel (80%) des préjudices subis et évités (facturations d’actes médicaux et paramédicaux, séjours en établissements de santé, prestations et biens de santé fictifs, surfacturations). Et pour la Cnav
trois fraudes sur quatre concernent le minimum vieillesse.
Dans les branches du régime général et à Pôle emploi, près de 4 000 agents étaient directement affectés à la lutte contre ce phénomène en 2019, principalement dans les Caf et Cpam (respectivement 1 900 et 1601 ETP). « Ces effectifs sont stables ou en augmentation, malgré la baisse globale des effectifs des organismes sociaux », relève la Cour des comptes.
En 2019, ont débouché sur des constats d’indus (frauduleux ou non) 79% des contrôles effectués par les Cpam à leur initiative et environ 75% de ceux réalisés sur demande de la Cnam ; 74% des signalements internes ou externes traités par Pôle emploi et 55% des
vérifications sur place effectuées par les Caf. La détection par les caisses de retraite est plus faible à 41%, « mais augmente ». A l’inverse, le repérage des irrégularités de facturation par séjour contrôlé en établissement de santé « connaît une baisse continue » de 49% en 2008 à 35% en 2017.
Mais pointant des pertes importantes, la Cour regrette que ces opérations soient insuffisamment nombreuses.
L’année dernière les Caf ont versé à tort et de manière définitive environ 3 Mds d’€ (4,5% du montant total des prestations). Côté maladie, le coût des factures irrégulières acquittées aux professionnels et établissements de santé est estimé à 1 Md d’€ (hors séjours dans les établissements de santé publics et privés non lucratifs).
« Tarir les possibilités systémiques de fraudes »
Dans leurs quinze recommandations, les magistrats de la Cour des comptes appellent d’abord à mesurer l’ampleur de la fraude, à travers des évaluations régulières. Mais l’enjeu principal « est de tarir les possibilités systémiques de fraude ». Ils épinglent ainsi un «système déclaratif trop ouvert dont le resserrement est nécessaire».
Pour le rendre plus strict et éviter les risques de détournements, la Cour plaide pour un rapprochement des coordonnées bancaires communiquées avec le fichier Ficoba (fichier national des comptes bancaires ouverts en France). Concernant les actes et prestations facturés à l’Assurance-maladie, la dématérialisation de l’ensemble des prescriptions devrait être obligatoire, y compris en établissement de santé.
Le dispositif ressources mutualisé (DRM), mis en place par la Cnaf et regroupant l’ensemble des données relatives aux ressources (revenus d’activité, prestations sociales, revenus du capital), pourrait permettre de réduire les irrégularités «portant sur l’attribution et le versement des prestations familiales, des minima sociaux, de la complémentaire santé solidaire, des indemnités journalières, des pensions d’invalidité et des allocations chômage». Parmi les autres chantiers prioritaires : le surnombre de droits ouverts dans le cadre de la PUMa, ainsi que les cartes Vitale. Sur ce dossier polémique, la Cour appelle à mettre en place une carte dématérialisée et individualisée par assuré et à éteindre «dans l’immédiat» le stock excédentaire.
Au titre de la prévention de la fraude, les Sages de la rue Cambon préconisent notamment une augmentation des budgets informatiques dans les prochaines COG, notamment pour permettre une « hausse significative » des effectifs dédiés. Autre piste : la création d’une unité spécialisée et transverse.
Enfin, le système de sanction devra être rendu plus efficace.