L’universalité des allocations familiales concerne-t-elle les enfants ou les familles ? Selon l’interprétation du concept, la mise sous condition de ressources se justifie ou pas. Pour la deuxième fois en dix ans, l’universalité des allocations familiales (AF) revient au centre du débat social et politique.
Fin septembre, en évoquant la suppression des AF pour les revenus les plus aisés, Olivier Véran a jeté un pavé dans la mare. Le rapporteur général du PLFSS, député LREM de la commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale, s’est dit favorable à l’idée, avant que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, ne se déclare « pas fermé ». En ligne de mire, l’idée de supprimer les AF pour les ménages déclarant 6 000 € de revenus mensuels, favorisant ainsi une économie de 400 millions d’euros sur les 18,7 milliards d’euros versés. Sur le sujet, les positions dépassent les clivages politiques traditionnels des uns et des autres. Le MoDem et les Constructifs sont contre tout, comme les communistes. A la Cnaf, son président, Jean-Louis Deroussen, s’est aussi prononcé contre tout, comme l’Unaf. Au gouvernement, on calme le jeu. Agnès Buzyn souhaite mener une réflexion sur la politique familiale sans urgence ainsi qu’Edouard Philippe, qui exige « un vrai débat sur le sujet ». Quant à l’opinion, 72 % des Français se déclarent favorables à cette réforme (Ifop-CNews).
La question de l’universalité des AF a déjà fait beaucoup parler d’elle en 2015. Trois ans plus tôt, Jean-Marc Ayrault avait sollicité Bertrand Fragonard pour trouver des moyens de résorber le déficit du budget de la branche Famille. Parmi les scénarios esquissés dans le rapport du président du Haut Conseil de la Famille (HCF), la modulation des allocations était une des pistes retenues. A l’époque, le rapport envisageait différentes possibilités : diviser les AF par trois à partir d’un plafond de 5 771 € par mois pour deux enfants ou bien les diviser par deux, avec un plafond de moins élevé : 5 009 € pour deux enfants. Autre idée : faire évoluer les AF sur le même modèle que l’APA, soit les maintenir jusqu’à un certain plafond, puis les faire diminuer de manière linéaire jusqu’à un autre, où elles seraient divisées par quatre. Finalement, la mesure retenue avait panaché ces propositions en divisant les AF par deux pour les familles gagnant plus de 5 595 € par mois (avec deux enfants) et par quatre, pour celles dont le budget mensuel dépassait 7 457 €. Quand Bertrand Fragonard avait remis son rapport en 2013, de nombreux acteurs du secteur avaient manifesté leur opposition. Une majorité des membres du HCF y était hostile : CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, FSU, la Cnaf et l’Unaf. Ses seuls défenseurs furent la CFDT et l’Unsa, le Medef et le Conseil national des associations familiales laïques (Cnafal).
Aujourd’hui comme hier, l’argument principal des opposants repose sur l’universalité stricte inscrite dans le principe de la Sécurité sociale pour tous. Mais suivant l’interprétation des textes, celle-ci s’applique plus ou moins bien aux AF et au projet. Quand l’ordonnance du 4 octobre 1945 explique que « le but à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité », elle évoque le risque de maladie et de vieillesse. Mais certains s’interrogent : l’arrivée d’un enfant peut-elle être considérée comme un risque ? Quant à la déclaration du député communiste Ambroise Croizat, l’un des fondateurs de la Sécu, elle précise que chacun « cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ». Dans cette déclaration la notion de « besoin » porte une ambiguïté. Les défenseurs de l’universalité des AF se placent du point de vue de l’enfant : il a besoin de son allocation, quels que soient les moyens de ses parents. Mais d’autres rappellent que les allocations sont conçues pour les parents, afin de les aider à élever leurs enfants. Et sur ce point, il est plus complexe de défendre l’idée qu’un couple disposant de plus de 5 500 € par mois ait besoin des 66 € de son AF en plus pour élever son enfant. Un débat appelé à perdurer .
Pour Philippe Steck, ancien directeur-adjoint de la Cnaf, chargé des prestations légales, la bonne natalité de la France dépend plus des mesures d’accueil des jeunes enfants que des allocations familiales elles-mêmes.
Il rappelle que le taux d’effort pour élever un enfant se mesure ainsi : le coût total moins les prestations familiales, rapporté au revenu des parents.