RAC zéro, COG de la Cnam, congrès fédéral en juin prochain, autant de rendez-vous majeurs pour les mutualistes, qui ont incité ESE à rencontrer Thierry Beaudet, président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF). Une actualité riche, donc, et un échange nécessaire avec le leader du plus important pôle de santé complémentaire.
La FNMF s’est prononcée en faveur de la COG 2018-2022 de la Cnam, lors du dernier conseil de la caisse nationale. Pourquoi ce vote ?
En novembre dernier, la Mutualité française avait approuvé les orientations proposées, nous avons estimé que la COG les déclinait. Nous avons souhaité nous placer du point de vue de l’assuré en priorité. L’accent mis sur la prévention, l’accès aux droits des plus fragiles, et notamment la poursuite des actions initiées en matière de gestion du risque, sont des éléments avec lesquels nous sommes très en phase.
Du côté mutualiste, nous avons obtenu des garanties pour les salariés dans le cadre de la disparition du RSI et du régime étudiant de Sécurité sociale lorsqu’ils seront intégrés dans le réseau de l’assurance-maladie. Bien sûr, nous restons vigilants, mais nous avons le sentiment que ces engagements seront tenus.
La réforme du RAC doit faciliter l’accès aux soins à des tarifs opposables.
Les négociations sur le reste à charge (RAC) zéro en optique, sur les prothèses dentaires et les audioprothèses ont commencé officiellement fin janvier. Jusqu’où la Mutualité française est-elle prête à aller ?
Le RAC zéro est l’opportunité de renouer avec l’objectif, qui a toujours été celui de la Mutualité française, de faciliter l’accès aux soins des Français : faire en sorte que les gens puissent accéder à des soins de qualité rien qu’avec leur cotisation à la Sécurité sociale et leur cotisation à leur mutuelle. De plus, sur l’optique, le dentaire et l’audition, nous sommes les premiers financeurs. Cela conforte notre légitimité à être force de propositions dans ce projet de réforme.
En septembre dernier, notre Observatoire Place de la santé nous a permis de dresser deux constats. Les écarts tarifaires selon les régions montrent qu’il y a une forme d’adaptation des prix des lunettes, des prothèses dentaires ou auditives aux capacités contributives de la population. Une augmentation des niveaux de remboursement, sans action sur les tarifs de ces dispositifs médicaux, ne permettrait donc pas de diminuer le RAC. Second élément, la concurrence n’est pas toujours facteur de baisse des prix. L’optique en est un bon exemple : les départements où le tarif des lunettes est plus élevé sont souvent aussi ceux où le nombre d’opticiens est plus important. Cette question du RAC doit mobiliser l’ensemble des acteurs y compris l’Etat, qui dispose d’un certain nombre de leviers, notamment sur le plan fiscal. La TVA sur les verres peut être un facteur de réduction de prix et la TSA peut aussi être modulée à la baisse, pour maîtriser le coût des cotisations aux complémentaires. Nous sommes prêts à prendre notre part dans la réflexion si elle n’est pas focalisée uniquement sur la question d’un meilleur remboursement.
Ces domaines sont très différents, se doivent-ils d’être abordés dans une même approche ? Comment les mutuelles pourront-elles conserver leurs propres initiatives, notamment dans le cadre des réseaux qu’elles ont créés ?
Ces trois sujets sont très distincts, mais des principes communs peuvent s’appliquer. La Mutualité a rapidement proposé une réflexion sur la définition de paniers de soins. Nous avons repris à notre compte l’expression de panier de soins « nécessaires » utilisée par la ministre en y ajoutant « de qualité ». Nous souhaitons que les pouvoirs publics fassent confiance aux acteurs. Les professionnels de santé et nous, financeurs, sommes à même de définir les soins nécessaires et de qualité et d’essayer de s’accorder sur le juste prix. Au nom de l’égalité d’accès aux soins, ces paniers devraient être demain systématiquement proposés aux patients, avec une prise en charge par les complémentaires. Mais nous sommes aussi attachés à la liberté, qui est au cœur de notre système de santé. Nous avons donc cherché un point d’équilibre entre un panier de soins proposé par tous au nom de l’égalité et le maintien, au-delà, d’un espace de liberté, facteur d’innovation et de progrès. Les réseaux conservent dans ce cadre toute leur pertinence, avec la possibilité de négocier des RAC maîtrisés.
Il y a une tentation étatiste du gouvernement sur la santé.
Quelles sont les problématiques propres à chacun des secteurs ?
En optique, plus que les verres et même les montures, on rembourse surtout un réseau de distribution. Une paire de lunettes a un prix moyen de 437 €, dont 255 € rien que pour le coût de la distribution. Sur les montures, nous avons proposé de fixer un plafond de remboursement aux alentours d’une centaine d’euros (contre 150 aujourd’hui dans les contrats responsables). Il faut lancer une réflexion globale sur la filière, former moins d’opticiens et probablement mieux, en développant leurs compétences en optométrie.
En dentaire, les soins conservateurs devront être revalorisés au juste prix avant d’agir sur les prothèses. Les gens doivent aussi aller plus régulièrement chez le dentiste et s’inscrire dans un parcours de prévention et de visites régulières.
Sur l’audioprothèse, le renoncement résulte de plusieurs facteurs, dont des freins avant tout financiers avec
1 500 € de coût moyen par oreille, et un RAC de 850 €. Les prix pratiqués en France pour ces appareils sont les mêmes chez nos voisins européens, mais des équipements moins onéreux y sont aussi proposés. Nous avons sur ce point un réel accord avec les professionnels de santé. Il faut retravailler la nomenclature pour mieux faire correspondre les équipements adaptés aux déficits auditifs à corriger. Et un peu plus d’audioprothésistes doivent être formés.
Le calendrier prévu des discussions sur le RAC n’est-il trop court pour bâtir une démarche partagée?
Grâce à nos opticiens mutualistes et nos audioprothésistes, nous pouvons rapidement travailler sur le contenu d’un panier de soins et une idée du juste prix. Sur le dentaire, nous sommes aussi à peu près d’accord. D’ici à la fin mai, il semble possible d’avoir dégagé une vision partagée. Et le gouvernement, nous l’espérons au congrès de la Mutualité, pourra donner une vision assez précise de ce qu’il convient de faire.
La mise en œuvre devra ensuite être progressive, d’autant plus que nous devrons trouver un nouvel équilibre global des prix sur le panier de soins en question, en contenant les dépenses afin de maîtriser la répercussion sur les cotisations.
On a un peu le sentiment que les relations du mouvement mutualiste avec les pouvoirs publics sont complexes. A la veille du congrès de la Mutualité, ne faut-il pas sortir de cette forme d’ambiguïté ?
Ce gouvernement, qui semble avoir fait de la libération des initiatives un marqueur de sa politique, a pourtant une tentation étatiste s’agissant des questions de santé. Nous avons le sentiment d’être attendus sur le terrain de la solvabilisation des dépenses de santé, en complément de l’AMO. Mais ce gouvernement, comme les précédents, peine à envisager notre contribution en matière de contractualisation avec les professionnels de santé, d’apports à l’organisation et à la régulation du système de santé. Raison de plus pour nous, à travers le dossier du RAC zéro, de montrer nos analyses et d’essayer d’être force de propositions. Sur ce sujet, nous avons le sentiment d’avoir été écoutés.
Comment se prépare le congrès de juin prochain ?
Le congrès a une double fonction, sa préparation est l’occasion de redynamiser les réflexions internes. Il est aussi pensé comme un moment d’ouverture où la Mutualité peut parler à la société, au-delà des mutualistes. Dans le cadre de la thématique de ce congrès, « Protection sociale : la mutation. Les mutuelles proposent et agissent », nous aborderons trois sujets. Parmi eux, l’accès aux soins avec la question du RAC zéro dans une dimension territoriale. Nous évoquerons également la question de la complémentaire santé demain, comme élément de sécurisation des parcours. Nous voulons ouvrir ce sujet prospectif avec l’ensemble des partenaires sociaux. Enfin, un troisième axe portera sur les enjeux de la transition démographique. Le sujet de l’autonomie est important et je souhaite que la Mutualité s’en saisisse.