Organisé sous le haut patronage d’Agnès Buzyn, le colloque « Renoncement et accès aux soins, de la recherche à l’action – 5 années de collaboration Assurance Maladie / Odenore » réunira jeudi et vendredi prochain, à la Cité des sciences et de l’Industrie à Paris, les équipes de recherche, les grandes institutions, et les acteurs de terrain impliqués dans la production de connaissances sur l’accès aux soins, la lutte contre le renoncement aux soins et l’amélioration de l’accès au système de santé.
Entretien avec Héléna Revil, chercheure à l’Odenore et Fanny Richard, directrice de l’intervention sociale et de l’accès aux soins à la Cnam.
Quelle est la réalité du renoncement aux soins en France en 2019 ?
Héléna Revil: Le Baromètre du renoncement aux soins (BRS), élaboré avec l’Assurance Maladie et mené dans l’ensemble des caisses métropolitaines de 2014 à 2018, nous a permis de constater que le phénomène de renoncement aux soins n’est pas résiduel, avec un taux de renoncement de l’ordre de 25 %, soit un assuré sur quatre parmi les personnes interrogées au sein des accueils et centres d’examens de santé, et des services et structures partenaires du BRS, avec de fortes disparités selon les départements.1
Ce qui ressort des 160 000 questionnaires exploités et des 400 entretiens qualitatifs réalisés auprès de personnes en renoncement aux soins, c’est que les principaux obstacles sont d’ordre financier (restes à charge et avances de frais). Viennent ensuite les délais pour obtenir un rendez-vous médical, les difficultés de l’assuré pour se déplacer, la complexité des démarches à mettre en œuvre pour se soigner et enfin la méconnaissance du système de santé.
Chez les personnes accompagnées dans le cadre du dispositif de lutte contre le renoncement aux soins de l’Assurance Maladie, les soins les plus fréquemment renoncés sont les actes de spécialistes (28 %) et les soins dentaires prothétiques (23 %), mais aussi les consultations de généraliste ou des analyses biologiques et examens médicaux pour environ une personne sur dix.2
Le profil socio-économique des usagers qui renoncent à se soigner évolue-t-il depuis plusieurs années ?
Héléna Revil : le renoncement aux soins touche avant tout les familles monoparentales, les familles avec des enfants à charge, les personnes sans emploi et les individus entre 40 et 59 ans. L’absence de complémentaire ou la présence d’une complémentaire insuffisamment couvrante apparaît d’autre part comme un facteur de risque majeur ; les bénéficiaires de la CMU C interrogés déclarent moins renoncer aux soins que les bénéficiaires de l’ACS.
Fanny Richard : on a longtemps pensé que le renoncement aux soins se limitait à une frange marginale de la population, pauvre et précaire. Or, les différents baromètres menés dans les caisses ont mis en évidence que des personnes n’étant pas particulièrement exposées au renoncement aux soins pouvaient se retrouver brutalement dans cette situation dès lors que survenait un accident de la vie avec une chute des ressources (chômage, veuvage, accident…).
Quels leviers l’Assurance Maladie, au travers des Cpam, déploie-t-elle pour faciliter l’accès aux soins pour ces populations ?
Fanny Richard : un dispositif de lutte contre le renoncement aux soins, d’abord expérimenté dans le Gard, a été déployé de 2014 à 2018 dans l’ensemble des CPAM pour identifier et accompagner les personnes en situation de renoncement aux soins. Concrètement, lorsqu’une telle situation est détectée, que ce soit lors d’un passage en CPAM ou dans une structure partenaire du dispositif (professionnel de santé, hôpital, service social, associations, Carsat/Cramif, Pôle emploi, Caf…), un signalement est fait à la cellule de lutte contre le renoncement aux soins de la CPAM qui vient à la rencontre de l’assuré. Aujourd’hui, plus de 100 000 assurés ont pu réaliser des soins auxquels ils avaient renoncé, grâce aux milliers de professionnels de l’Assurance Maladie mobilisés, qu’ils soient agents d’accueil, travailleurs sociaux, médecins conseils…
Ce dispositif est profondément inscrit au cœur de la mission de l’Assurance Maladie de favoriser l’accès aux droits et aux soins à l’ensemble de la population, et particulièrement aux publics les plus fragiles : il induit une prise en charge attentionnée pour une population en difficulté et une nouvelle approche pour les agents de l’Assurance Maladie qui sortent d’une logique de « guichet » pour aller au-devant de ces assurés.
La mise en place de ce dispositif n’aurait pu voir le jour sous cette forme sans cette démarche de co-construction entre l’Assurance Maladie et l’Odenore, qui a apporté une expertise scientifique pour une meilleure compréhension de ces assurés en particulier. Ce sont les résultats et les apports qu’un partenariat de ce type peut apporter à la recherche et à l’action qui seront au cœur du colloque des 6 et 7 juin.