dans LIBRES PROPOS & ÉDITOS

Abraham Hamzawi, partner à Sopra Steria Next, est un expert reconnu en matière de système d’information public. Dans cette tribune, il revient sur l’impérieuse nécessité de construire les démarches de services publics numériques de demain en partant prioritairement du vécu des usagers les plus fragiles.

Nous entendons de plus en plus parler du concept d’illectronisme mélangeant fracture numérique et fracture sociale. Cette réalité de terrain se télescope avec une autre, celle qui voit le train de la numérisation de l’administration publique se mettre en marche et ce, à rythme soutenu. Sur le papier, la donne est pourtant claire : il faudrait relever le niveau de compétence des usagers en vue de les inclure dans la société du tout numérique. Ces personnes (1 français sur 4 ne saurait pas s’informer sur Internet selon l’Insee) n’ont rien demandé et les voilà désignés derniers de cordée ; ils doivent s’adapter au service public numérique.

Mais que s’est-il passé ? Avant le tout numérique, le processus était « simple » : vous vous rendiez au guichet de l’administration, vous présentiez le formulaire administratif (le fameux CERFA) et faisiez autant d’aller-retour qu’il fallait pour fournir les pièces justificatives. Et si vous ne compreniez pas la démarche, l’agent public effectuait le travail à votre place, il complétait le formulaire papier et faisait en sorte que la démarche aboutisse.
Mais avec le numérique désormais vous vous retrouvez seul face au formulaire en ligne. Le même que le papier, mais numérique, 100 % numérique. Et là, toute la complexité administrative qui vous était cachée par le travail technique de l’agent administratif vous saute aux yeux ! En effet, la charge de travail de cet agent a été transférée sur l’usager. Essayez donc de comprendre par vous-même, essayez d’avoir un support, une assistance !

Et voilà, des conseillers vont venir à vos côtés pour vous aider à compléter vos démarches 100 % numérique. Vous voilà donc dans une posture d’assisté du numérique !
Il est évidemment plus facile de transposer des démarches administratives papier en numérique sans remettre en question fondamentalement la manière de faire. Pour l’administration cela signifie beaucoup d’économies (frais de gestion, non-remplacement de départs à la retraite. Pour se faire une idée, l’Assurance Maladie a diminué ses effectifs de près de 18 % ses effectifs depuis 2004.
Mais, il aurait été possible de faire davantage d’économies et améliorer drastiquement les démarches administratives numériques et donc l’accès aux droits [car ces démarches ont tendance à contribuer très largement au découragement et au non-recours de ceux qui ont en le plus besoin].

Comment ? En renversant la perspective : « Ainsi, les derniers seront les premiers et les premiers les derniers ». En renversant le sens de la cordée, le service numérique est conçu à partir du point de vue de l’usager. Il est conçu avec lui. Nous ne rapprochons plus l’usager vers les services publics, mais ce sont ces derniers qui viennent à la rencontre de l’usager. Tout simplement en intégrant l’usager dans toutes les phases de la conception et de la mise en œuvre du service public. Il s’agit d’une réelle implication et non de faire valoir, de testeur ultime.
Dans une perspective d’extrême-user, prenons les usagers les plus en difficulté, car en améliorant le service à partir de leur expérience, de leur vécu, en intégrant la dimension psychologique (la peur notamment) et tous les biais cognitifs (et non, tout n’est aussi rationnel que l’imagine l’administration), le service bénéficiera à tout le monde. L’implication des agents publics de terrain est à cet égard déterminante. Ils connaissent bien leur public, mais sont souvent désarmés, justement, par les outils numériques mis à leur disposition en interne. Ils n’ont pas toujours les moyens de mieux informer l’usager et pire que cela : ils ont un pouvoir de décision et d’intervention très limité.
Ainsi, les usagers les plus en difficulté et les agents du service public de terrain, ces nouveaux premiers de cordée ouvriront une nouvelle voie : celle de la simplification radicale, celle qui fait tant peur à l’administration, mais qui reste un formidable levier pour l’accès aux droits.

Abraham Hamzawi,

Publié dans ESE n° 12010 du 18 février 2022 dans notre rubrique “Le Changement c’est quoi ? ” – Photo DR

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