dans SÉCURITÉ SOCIALE

par Marcel ROYEZ, consultant-expert social

Le tout récent rapport « Revue, bilan et renforcement des systèmes de sécurité et d’assistance sociales » du CESE (Conseil économique, social et environnemental) du Maroc jette un éclairage violent sur la protection sociale dans ce pays. Sa conclusion est sans appel : « Il n’y a plus de temps à perdre : le Maroc a besoin d’une refondation de son système de sécurité et d’assistance sociales afin d’assurer à ses citoyennes et ses citoyens une couverture décente à toutes les étapes de leur cycle de vie ».

S’inscrivant dans la logique des « socles universels de protection sociale » préconisés par l’Organisation internationale du travail (OIT), le rapport montre que le développement et l’universalisation de la protection sociale est à la portée du Maroc. Un changement de paradigme est préconisé pour passer d’une approche compassionnelle à une approche fondée sur les droits humains, garantis par l’Etat. Ce droit à la protection sociale figure d’ailleurs en bonne place dans la Constitution marocaine de 2011.

L’action publique dans le domaine de la protection sociale est fragmentée avec une multiplicité de programmes, d’intervenants, de référentiels d’objectifs et de méthodes d’évaluation des résultats, sans réelle coordination.

Constats sans concession

 

Le CESE note un engagement limité du Maroc par rapport aux normes internationales « un des pays qui ont le moins ratifié les conventions de l’OIT relatives à la sécurité sociale ». 42 conventions techniques importantes et protocoles n’ont pas été, à ce jour, ratifiées par le Maroc. L’action publique dans le domaine de la protection sociale est fragmentée avec une multiplicité de programmes, d’intervenants, de référentiels d’objectifs et de méthodes d’évaluation des résultats, sans réelle coordination. Le système marocain n’est pas ordonné autour d’une vision unifiée, ni porté par des objectifs convergents. Il n’existe pas entre ses composantes de mécanismes de solidarité ni même de complémentarité. Bref, un système atomisé en une superposition de régimes, de structures, de règles, sans véritable cohérence.

Suivent une série de constats sur les carences de la protection sociale, parmi lesquels :

  • Le système laisse des risques significatifs et des effectifs nombreux sans couverture ou avec des niveaux de prestations très réduits ; à fin 2016, 45,4% de la population ne dispose pas d’une couverture médicale.
  • Les accidents du travail et les maladies professionnelles ne sont pas reconnus comme des risques relevant de la sécurité sociale, leur couverture reste limitée et contrainte par des procédures complexes, situation qui nuit à la prévention des risques comme à la juste indemnisation des victimes ;
  • La majorité des personnes âgées ne bénéficie pas de droits à pension et ces dernières sont pour plus de 70% des cas inférieures au salaire minimum (SMIG) ;
  • Il n’existe aucun programme de pension de vieillesse non contributive au Maroc ;
  • Plus de 60% des actifs marocains n’ont pas accès aux systèmes de pensions existants et 30% seulement des actifs bénéficient de l’assurance-maladie obligatoire ;
  • Les travailleurs du secteur « non formel » ne bénéficient pas d’assurance sociale ;
  • La majorité des dépenses de santé est prise en charge par les ménages ;
  • La couverture médicale de base ne s’est pas accompagnée de dispositifs publics de mesure de la qualité de sa gestion et des soins, ni d’une véritable politique de prévention sanitaire ;
  • Les taux de mortalité maternelle et infantile restent élevés en raison notamment du faible accès aux soins postnatals et néonatals, en milieu rural ;
  • Les enfants -en particulier les filles en milieu rural et les jeunes sans ou de faible qualification sont exposés au décrochage scolaire et à la trappe de l’emploi informel et de la pauvreté ;
  • Les enfants et les adultes handicapés sont confrontés à l’extrême difficulté d’accès à des services d’éducation et de santé de base, à des risques accrus de chômage et à la pauvreté sans assistance à leurs familles et leurs aidants pour faire face aux surcoûts découlant de leur situation ;
  • Les deux tiers des personnes handicapées ne bénéficient d’aucun régime de sécurité sociale ;
  • Les politiques publiques en faveur de l’emploi et de la protection sociale des personnes sans emploi sont limitées (ressources, vision stratégique et efficacité) ;
  • L’effectif des bénéficiaires de l’indemnité pour perte d’emploi (IPE) est inférieur à 1% des chômeurs, du fait des conditions d’accès draconiennes ;
  • Les allocations familiales ne bénéficient qu’aux parents actifs dans le secteur formel, 2,4 millions de personnes actives dans le secteur informel, représentant 36,3% de l’emploi non-agricole à l’échelle nationale, n’en bénéficient pas…

Le système marocain n’est pas ordonné autour d’une vision unifiée, ni porté par des objectifs convergents.

Renforcer la protection sociale

 

Parmi les nombreuses propositions on retiendra :

  • Enfance / famille : mettre en œuvre effectivement de la Politique intégrée de protection de l’enfance et développer des programmes et dispositifs de protection sociale spécifiques aux enfants, adaptés à leurs multiples vulnérabilités ;
  • Accidents du travail et maladies professionnelles : confier la gestion du risque AT/MP à un seul organisme d’assurance sociale, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), organisme public non lucratif, et favoriser le financement d’une politique de prévention des risques professionnels ; réformer radicalement la législation et les procédures de constatation, prise en charge, suivi, indemnisation, réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles ;
  • Chômage : développer un dispositif national contributif d’assurance contre le chômage comportant des modalités d’indemnisation des travailleurs privés d’emploi ;
  • Handicap : parachever le cadre législatif et réglementaire de protection des personnes handicapées par des mesures dissuasives contre les violences, la maltraitance et les actes de discriminations à l’encontre de ces personnes, dans le cadre familial, sur les lieux de travail, dans l’accès à l’emploi et aux services publics ; développer les services d’assistance sociale pour les personnes handicapées au niveau local, régional et national ; assurer à ces personnes un revenu de base, sous condition de ressources ;
  • Retraites : unifier les régimes de retraites dans un délai de 5 à 7ans ; instaurer un revenu minimum vieillesse équivalent au seuil de pauvreté au bénéfice des personnes dépourvues d’une pension de retraite ; instituer un régime de retraites de base, public et obligatoire, géré en répartition, pour les actifs des secteurs public et privé, unifié, sous plafond de cotisation ; dans le cadre d’un deuxième pilier obligatoire, mettre en place un régime complémentaire contributif pour les revenus supérieurs au plafond ; dans le cadre d’un troisième pilier, prévoir un régime individuel en capitalisation qui relèverait de l’assurance privée ;
  • Couverture maladie : assurer, dans le respect des principes fondamentaux, l’universalisation de la couverture médicale de base ; relancer le dialogue social sur cet objectif ; intégrer au régime d’assurance de base, l’ensemble des ressortissants des organismes publics ou privés ; harmoniser, par alignement sur les meilleurs niveaux de prestations, les régimes obligatoires d’assurance maladie, notamment pour les paniers de soins, les taux de couverture et les taux de cotisations, en vue de la mise en place à cinq ans d’un régime national universel de base ; actualiser la tarification nationale de référence pour le remboursement et la prise en charge des prestations ; créer un organisme autonome gestionnaire du Régime d’assistance médicale des démunis (RAMED) ; spécialiser budgétairement le financement par l’Etat de ce régime par son inscription annuelle dans la loi de finances ; réviser la gouvernance de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) pour lui permettre de jouer pleinement son rôle de régulateur ; redynamiser et promouvoir le secteur mutualiste en favorisant la coopération entre organismes ;
  • Gouvernance de la protection sociale : élaborer une stratégie nationale, consacrée par une loi-cadre, issue du dialogue social et donnant lieu à un pacte de génération, visant un équilibre entre les besoins de protection sociale et les ressources nationales ; établir un budget social de la nation, annexé à la loi de finances, soumis au contrôle démocratique et au vote du parlement, après consultation des partenaires sociaux et avis du CESE ; mettre en place un système national d’information intégré en matière de protection sociale, articulé autour de l’adoption d’un identifiant social national, permettant la convergence des systèmes d’information de la protection sociale et la dématérialisation des flux ; créer un système de formation et d’études supérieures dans le domaine de la protection sociale pour la formation de compétences en gestion et gouvernance des régimes ; développer des campagnes publiques d’information sur les droits à la protection sociale et sur les conditions et les modalités d’accès aux prestations.

 

Agir au plus vite

 

Le constat d’urgence posé par le CESE ne peut laisser indifférent dans le climat actuel qui voit monter les tensions et mécontentements dans la population marocaine, liés aux inégalités et à la précarité sociale. Non pas que rien n’ait été fait dans ce domaine depuis plusieurs décennies, loin s’en faut ! Mais les insuffisances, les lacunes, les dysfonctionnements qui affectent l’organisation, le pilotage et la coordination, l’étendue et la qualité de la couverture sociale -laquelle ne profite qu’à une partie de la population- accentue les inégalités sociales et entache l’efficacité et l’effectivité des mesures prises et des moyens mobilisés.

Le Maroc ne part pas de rien ; il dispose d’institutions sérieuses, d’organismes sociaux compétents, expérimentés et bien structurés, d’un corpus législatif et réglementaire très fourni. Certes, les nombreuses tutelles de la protection sociale doivent être unifiées, la coordination interministérielle améliorée et s’effectuer au plus haut niveau (Primature) eu égard à l’importance et à la transversalité du sujet. L’inertie administrative n’est plus de mise sur des projets qui s’enlisent depuis trop longtemps. Les pouvoirs publics et la société civile sont convoqués pour accomplir, sans plus attendre, cette refondation de la protection sociale, élément indissociable du développement économique et social du pays, facteur de cohésion nationale. C’est un énorme mais passionnant chantier auxquels tous les partenaires du Maroc, notamment les acteurs français de la protection sociale doivent contribuer.

Focus sur la couverture médicale

Caisse nationale de sécurité sociale du Maroc.

Seize ans après l’adoption de la loi de 2002 portant Code de la couverture médicale de base : 45,4% de la population ne dispose toujours pas d’une couverture médicale ; trois régimes AMO sur cinq ont été mis en place (régimes des employés et titulaires de pension du secteur public ; régime des salariés et retraités du secteur privé à partir de 2005 ; régime des étudiants en 2016).

La couverture des indépendants et professions libérales n’est pas encore effective, et celle des ascendants, prévue par la loi, reste à l’étude.


Marcel ROYEZ, consultant-expert social, a été Conseiller pour les affaires sociales à l’Ambassade de France au Maroc entre 2007 et 2014, après avoir exercé de nombreuses responsabilités nationales dans le secteur social.

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