ESS France, chambre française de l’économie sociale et solidaire (ESS), faisait sa rentrée le 28 septembre autour d’un événement sur la régulation de l’investissement. L’occasion pour son président Jérôme Saddier, de revenir sur les grands enjeux de l’ESS à la veille de l’élection présidentielle, mais aussi sur l’agenda européen et international.
Alors que nous entrons dans la campagne présidentielle, comment ESS France compte-t-elle contribuer au débat ?
Nous sommes en train de travailler avec nos membres à la définition des grands axes d’un plaidoyer collectif pour l’ensemble des acteurs de l’ESS.
Ils porteront d’abord sur la reconnaissance du secteur. A l’approche de l’élection présidentielle nous voulons nous assurer que l’ESS restera représentée dans le futur gouvernement, avec un membre dédié à Bercy, puisque nous n’avons pas trouvé mieux en termes de portage politique et administratif. Ce qui a été engagé doit continuer et même être amplifié.
Une série de propositions porteront sur la façon de s’impliquer dans les grandes thématiques de sortie de crise, notamment sur les enjeux de santé. Vu ce qu’a révélé la pandémie sur notre système de santé et de protection sociale, les échanges citoyens et démocratiques sur ces questions sont indispensables. L’État ne peut pas seul décider ce que doit être notre système de santé et de protection sociale. Certaines propositions concerneront les contreparties aux aides publiques, même si le « quoi qu’il en coûte » est terminé. La soutenabilité de la dette par les Français doit être assortie de conditions allant dans le sens de l’intérêt général, et de la recherche de l’impact social et environnemental. Ce deuxième chapitre comportera également des éléments sur le développement des outils financiers à destination de l’ESS. La notion de finance à impact est encore trop peu définie aujourd’hui.
Un troisième axe sera orienté vers la transition de notre modèle économique, pour encourager la transformation écologique et sociale du pays. La crise a révélé la nécessité ou l’envie de changer de modèle, les plans de relance l’ont fait pour partie, mais incomplètement. Pour développer une autre forme d’économie, les entreprises devront être aidées pour se convertir aux transitions écologiques et sociales. La façon dont les acteurs de l’ESS sont soutenus dans leur écosystème, encore faible et disparate aujourd’hui, devra également être améliorée.
Un certain nombre de nos propositions tourneront autour de la garantie à l’emploi. Beaucoup de nos entreprises sont volontaires pour mettre en œuvre ce dispositif, dans un pays qui n’arrive pas à réduire le chômage de masse, il faut passer à un braquet supérieur.
Concernant la transition écologique, de nouveaux outils sont nécessaires. Le basculement ne pourra pas se faire sans mesures extrêmement fortes, via un encouragement fiscal, mais aussi une régulation pour certains types d’activité.
Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur l’ESS et quels enseignements tirez-vous de cette période ?
L’ESS a été, comme l’ensemble de l’économie, confrontée à une crise réelle même si les pertes d’emplois ont été un peu moins importantes (-0,9 % entre décembre 2019 et décembre 2020, soit 18 783 postes en moins).
Mais les caractéristiques de l’ESS doivent être nuancées, en fonction des secteurs d’activité. Certains se sont révélés particulièrement dynamiques tout en faisant face à de fortes contraintes, notamment dans le champ de la solidarité. Tous les travailleurs du social ont été, tout le long de la crise, « en première ligne », aux côtés des soignants, pour les soins à domicile, aux côtés des plus isolés… Cette « solidarité du dernier kilomètre » a permis de maintenir des gens en vie et du lien social. Le monde coopératif a, lui aussi, été sursollicité. A contrario l’éducation populaire, le sport, le tourisme et les loisirs, ou encore la culture ont été mis complètement à l’arrêt. L’absence d’activités, le retrait des bénévoles, le manque de trésorerie ont extrêmement fragilisé ces structures.
Globalement les entreprises de l’ESS ont pu être éligibles aux dispositifs mis en place par l’État, même si cela n’allait pas de soi au départ. Le gouvernement a également mis en place l’outil « Urgence ESS » qui a permis de soutenir quelques milliers de petites d’associations employeuses en subventions directes.
Quels sont les enjeux à l’échelle européenne, alors que la France prendra bientôt la présidence de l’UE ?
Avant la Présidence française, la Commission Européenne devrait présenter début décembre un plan d’action pour l’ESS, sous la houlette de Nicolas Schmit, commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux.
Nous y avons collectivement contribué au niveau européen avec nos collègues d’autres pays représentés par Social Economy Europe, dont je suis par ailleurs vice-président. Nous souhaitons que des moyens soient alloués à l’économie sociale via les différents fonds mis en place à l’occasion des plans de relance et que l’ESS soit mieux repérée dans le cadre juridique européen, ce qui ne manquerait pas de stimuler son développement. Et plus généralement, alors que l’Europe réfléchit à son avenir par l’intermédiaire d’une convention dédiée, nous voulons insister sur le fait que l’ESS constitue un trait caractéristique du modèle de société de notre continent, où le principe démocratique régule le fonctionnement de l’économie et la lucrativité limitée est la base d’activités importantes.
Sous la Présidence Française, un des événements majeurs sera le grand sommet européen de l’économie sociale, les 17 et 18 février prochains à Strasbourg. Nous espérons à cette occasion une prise de position qui pourrait donner une impulsion décisive au déploiement de nos modèles.
Au niveau international cette fois, la Conférence Internationale du Travail, qui se réunira en juin 2022 à Genève, débattra de l’économie sociale. Cette avancée importante est due à un plaidoyer intense et au travail de 17 agences des Nations Unies qui se sont regroupées dans une task-force de l’économie sociale.
Vous avez signé le 28 septembre un partenariat avec Aéma Groupe, quel en est le cadre ?
ESS France compte des adhérents, têtes de réseaux ou fédérations, mais nous nous appuyons également sur des partenariats financiers en direct avec des grandes entreprises de l’ESS. Historiquement, ces soutiens portaient principalement sur le Mois de l’ESS. Le développement d’ESS France et l’extension de nos activités permettent le financement de nouvelles actions, notamment en lien avec l’Observatoire National de l’ESS, par exemple pour mieux connaître les modèles économiques des entreprises de l’ESS et nous lancer dans la prospective ce que pourrait être l’ESS du monde qui vient. Avec cette convention, Aéma Groupe et les deux mutuelles qui le constituent, Aésio mutuelle et la Macif, s’engagent collectivement pour soutenir nos actions.
Ce partenariat d’ampleur n’est pas le premier, le Groupe VYV via ses différentes composantes participe également à nos activités. Nous avons beaucoup de projets, d’idées, de sollicitations et nous cherchons vraiment à impliquer, au-delà des membres d’ESS France, certains acteurs de taille importante de l’économie sociale, dont les mutuelles, certaines banques et coopératives.
D’autres actualités pour ESS France ?
Pour la première fois, nous organisons notre congrès de l’ESS mi-décembre. Nous avons lancé, à l’automne dernier, la République de l’ESS afin de démontrer que l’ESS fait partie de la vie quotidienne. Elle est un élément essentiel du contrat social français, à travers les acteurs qui l’incarnent, les innovations ou les réalisations sociales. Et l’ESS fait également partie intégrante de notre modèle économique et social. Notre objectif est de produire une déclaration politique formalisant tout ce qui motive les projets des créateurs et les acteurs d’entreprises qui se réclament de l’ESS, en quelque sorte leur « raison d’être », mais pas seulement : leur « raisons d’agir ».