En marge de la présentation gouvernementale du projet de transformation de notre système de santé, le rapport « Accélérer le virage numérique » co-écrit par Annelore Coury, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins à la Cnam, et Dominique Pon, directeur de la clinique Pasteur à Toulouse, est connu. Un texte majeur pour les pouvoirs publics dans l’objectif d’accélérer la transformation digitale du système. Reste le passage à l’acte…
D’entrée, les auteurs du rapport émettent un constat implacable : la bascule numérique ne s’est pas encore opérée, tant au niveau de l’usager que du professionnel de santé. Pour les usagers, les outils existent, mais ils sont généralement réduits à un rôle passif dans la construction du parcours de soin et n’ont qu’une visibilité réduite de l’utilisation potentielle de leurs données de santé. Pour les professionnels, l’offre d’outils numériques est trop morcelée, trop complexe et généralement peu interopérable. L’absence d’un socle de base, de référentiels et d’outils de premier niveau leur permettant d’échanger avec leurs patients, de mieux coordonner les parcours de soins et de simplifier leurs démarches administratives, est préjudiciable. De même, le rapport pointe un manque de lisibilité quant aux objectifs des différentes stratégies numériques précédemment élaborées et, plus globalement, une gouvernance et une organisation nationale insuffisamment structurées.
Peu de surprise en réalité quant à ces constats. Le numérique santé est surtout un objet de débats parfois « théologiques » ou idéologiques, de guerres de positions médico-corporatives voire de batailles commerciales.
ENS, store santé, interopérabilité et état
Le diagnostic est net : les interactions entre usagers et professionnels de santé sont les clefs de voûte d’un système de santé numérisé. Pas étonnant alors que la stratégie gouvernementale concentre ses efforts au développement d’outils numériques simplifiés qui leur seront destinés. Corollaire de ce premier constat pour l’avenir, seul l’Etat est légitime pour fixer le cadre d’intérêt général, gage d’efficacité et d’éthique.
Pour l’usager, la future création d’un Espace numérique de santé (ENS) individuel se situe au cœur de la révolution numérique voulue par les pouvoirs publics. Comme chez nos voisins européens, l’ENS est pensé pour être le portail unique d’interaction entre l’usager, son médecin traitant (et demain sa Communauté professionnelle territoriale de santé le suivant), l’assurance-maladie, voire sa complémentaire santé. Pour ces deux dernières, les espaces personnels existeront toujours, mais feront face à la « concurrence » de l’ENS. Celui-ci regroupera l’ensemble des outils nécessaires au patient pour interagir avec des professionnels de santé, pour consulter et enrichir son DMP, pour prendre des rendez-vous en ligne, pour accéder à ses prescriptions dématérialisées, pour utiliser des outils simplifiés de télémédecine, pour télécharger des applications santé référencés via un store (magasin) santé et donc, également, consulter l’avancement de ses remboursements RO/RC (cf. schéma p. 6). Le portail se révélera donc être à la fois un dispositif très complet, mais également un outil personnalisable. Chaque usager pourra choisir lui-même ce qu’il souhaite faire figurer ou non dans son espace.
Pour les professionnels de santé, la démarche est similaire : créer un socle simplifié d’outils interopérables dans le but d’améliorer l’organisation et la qualité de prise en charge et de favoriser la communication entre acteurs. Dans ce cadre un « bouquet de services », reprenant les données issues des ENS de leurs patients ainsi que des outils pratiques liés à l’exercice de leur pratique médicale, sera créé. Sur ce chantier, comme sur celui des usagers, l’Etat entend prendre ses responsabilités en assumant un modèle industriel de développement d’applications de base communes à l’ensemble des acteurs de santé. Les acteurs privés seront également associés à cette démarche, mais devront toutefois passer par une procédure de référencement pour pouvoir accéder à ces futurs portails.
Nouvelle direction ministérielle
Pour piloter ce lourd chantier, les auteurs privilégient la piste d’une gouvernance centrale au niveau du ministère de la Santé par le biais de la création d’une Direction de la transformation numérique en santé (DTNS), placée directement sous l’autorité directe de la ministre (à l’instar de la DGOS/DGS). Cette dernière aura autorité sur la politique d’e-santé en France et disposera de moyens propres pour permettre le développement des outils numériques de base attendus par les usagers et les professionnels. L’Etat entend donc rapidement reprendre la main sur ce dossier.
Plus qu’un rapport, ce texte fait office de note de cadrage s’inscrivant en toute cohérence dans l’ensemble des mesures du plan « Ma santé 2022 ». Les dispositifs décrits vont structurer durablement la montée en puissance des pouvoirs publics en matière d’interface numérique.
Le chantier prendra du temps, la généralisation des ENS est attendue pour la fin du quinquennat, mais cette démarche ambitieuse s’inscrit dans la lignée des systèmes de santé européens les plus en pointe sur ce sujet. Les exemples estoniens et danois ont fait leurs preuves, autant s’en inspirer.
Consulter le rapport: Accéder au virage Numérique