De passage à Paris le Dr. Joachim Breuer, président de l’Association internationale de la Sécurité sociale (AISS), s’est entretenu avec Ese sur les projets de l’association et sur sa vision des débats actuels sur l’Europe.
Quelles ont été les principales orientations adoptées lors du dernier congrès de l’AISS à Panama ?
Il y a eu deux temps forts lors de ce congrès. D’abord, il y a eu la présentation de notre manifeste recensant les 10 grands défis auxquels la Sécurité sociale doit faire face à terme. Cet exercice issu d’un long travail et d’échanges intenses entre nos membres est une première pour une organisation à dimension internationale. À l’échelon mondial, il y a des discussions qui ont lieu mais elles portent davantage sur des défis spécifiques. De notre côté, notre volonté a toujours été de porter une vision globale qui est en phase avec le caractère universel de la Sécurité sociale. Notre approche se construit en deux temps : d’abord poser le contexte général et les challenges auxquels nous sommes confrontés pour ensuite chercher à trouver des solutions pérennes. Pour se faire, nous avons décidé d’appliquer une stratégie régionale. Ainsi, nous allons accompagner nos membres sur chaque continent car si le constat général est fait par tous, on ne peut pas accompagner la structuration des systèmes de Sécurité sociale de la même manière en Afrique qu’en Amérique latine. La force de l’AISS est d’intégrer les particularismes de ces membres tout en ayant une approche globale. Enfin, les élections ayant eu lieu lors de ce congrès ont matérialisé notre volonté d’apporter de la stabilité au niveau de nos instances. Celle-ci nous paraît essentielle à la vue des travaux auxquels nous devrons faire face.
Comment l’AISS influence-t-elle les politiques sociales et santé des gouvernements ?
Nous n’avons pas vocation à faire du lobbying au sens d’exercer une pression sur les décideurs politiques. Depuis longtemps, notre approche consiste à influencer par un travail de conviction. Dans ce sens, notre responsabilité est d’informer, de convaincre pour montrer la bonne direction à emprunter. Notre plus grand atout dans cette démarche est que notre discours est enrichi par la profondeur de nos connaissances, particulièrement celles de notre centre pour l’Excellence et de notre expérience en matière de gestion des régimes de Sécurité sociale. La tâche est difficile et il faut sans cesse dialoguer avec les instances internationales, parlementaires, les ministres, etc. Mais j’ai le profond sentiment que l’influence de l’AISS est grande vis-à-vis des décideurs politiques même si en interne, nous avons parfois du mal à réaliser.
Quelle est votre vision sur la crise actuelle d’acceptation du partage à l’échelon européen ? Cela a-t-il un impact sur votre organisation ?
Il y a plusieurs niveaux de lecture de cette crise identitaire propre à l’Europe. Il y a d’abord un phénomène mondial de repli sur soi qui s’est notamment matérialisé en Europe par le Brexit et les poussées électorales des partis populistes. Il y a aussi une problématique générationnelle avec d’un côté les personnes âgées qui sont toujours attachées au modèle européen qu’elles ont vu se consolider au fil des dernières décennies et d’un autre côté les jeunes qui font preuve de pessimisme, voire d’une certaine défiance sur l’avenir de ce modèle et qui se préoccupent aussi de leur protection. Je pense également que nous traversons peut-être aussi une crise existentielle, car il y a un paradoxe européen. Au sein de l’AISS lorsque nous échangeons avec des Américains, des Africains ou des Asiatiques, ils s’étonnent que nous puissions dire que notre modèle est en crise, car ils nous disent tous « ce que vous avez construit est un exemple pour tous ». Ma conviction est que dans ce contexte européen difficile, il faut plus de Sécurité sociale malgré l’opposition ambiante. En tant que président il est un de mes principaux buts d’intensifier les efforts de l’AISS et je me réjouis déjà de travailler notamment en étroite collaboration avec les institutions françaises de la Sécurité sociale pour relayer ce message fort.