dans POLITIQUE DE SANTÉ
par Marcel Royez

 

Cinq membres du conseil scientifique, dont son président, viennent de publier une tribune dans The Lancet appelant à ne recourir au reconfinement généralisé qu’en ultime recours. Ils plaident pour une nouvelle approche basée sur un contrat social clair et transparent entre les générations et des mesures d’auto-isolement pour les populations âgées et vulnérables.

Jean-François Delfraissy, après avoir prôné il y a peu le reconfinement général et n’avoir pas été suivi par le gouvernement propose désormais, l’auto confinement des personnes âgées ou vulnérables : « … les jeunes générations pourraient accepter la contrainte des mesures de prévention (ex: masques, distanciation physique) à condition que les groupes plus âgés et les plus vulnérables adoptent non seulement ces mesures, mais aussi des mesures plus spécifiques (ex: auto-isolement volontaire selon des critères de vulnérabilité) pour réduire leur risque d’infection».
C’est se moquer que de prétendre que les jeunes accepteraient de porter le masque et de respecter la distanciation, moyennant que les plus âgés et les vulnérables acceptent ces mêmes contraintes, comme si tel n’était pas déjà le cas. Ces contraintes qui n’ont rien de nouveau sont destinées à se protéger et à protéger les autres, jeunes ou vieux.
En quoi faudrait-il donner des gages aux uns en contraignant davantage les autres ? En quoi l’auto confinement volontaire des plus âgés ralentirait la circulation du virus, quand déjà une grande partie de cette population adopte un comportement responsable, renonçant même pour beaucoup à voir leurs enfants et petits enfants ? Ce ne sont pas les plus âgés qui participent à la circulation de l’épidémie, ne portent pas le masque, ne respectent pas les distances, organisent et ou participent à des rassemblements festifs extérieurs et autres soirées privées débridées ? Faut-il les isoler pour donner plus de liberté à d’autres ; en quoi une telle mesure éliminerait les difficultés que tous nous traversons ? Isoler les vieux pour permettre aux plus jeunes de sortir en boîte, d’aller au restaurant, au cinéma ? La précarité d’une partie de la jeunesse, révélée par l’épidémie, serait-elle résolue par l’isolement de leurs aînés ? N’a-t-elle pas d’autres causes, antérieures à l’arrivée du virus et qu’il faudra bien traiter, au plus vite. Non, l’auto confinement des plus âgés ne règlera pas la question de la circulation de l’épidémie et de ses conséquences, ni ne rendra leur liberté aux autres.
Pudiquement, les tenants d’une telle option se gardent bien d’expliquer comment inciter cette population à s’auto confiner. Sauf à imaginer qu’à défaut d’une contrainte assumée par les pouvoirs publics, les personnes âgées réticentes fassent l’objet de l’opprobre et des pressions de leur entourage ! Ecartons aussi l’argument qu’une telle mesure serait prise pour les protéger comme si la plupart d’entre elles s’exposaient inutilement. La tension qui pèse sur nos hôpitaux du fait d’un manque de moyens ne peut conduire à la mise sous cloche des vulnérables avec tout ce qu’elle comporte de souffrances. Qu’est-ce que ce nouveau contrat social qui prétend monnayer le respect par les jeunes des règles de prudence qui s’imposent à tous par l’isolement des plus vulnérables ? Comme s’il fallait empêcher les vieux de conduire pour faire accepter la limitation de vitesse aux jeunes ou obliger les premiers à l’abstinence pour que les seconds renoncent à leurs excès. Qu’est-ce, sinon saper les principes de la solidarité intergénérationnelle au prétexte d’un effort demandé à tous, donc aussi aux jeunes qui ne sont ni les premières ni les seules « victimes » de cette crise ? Qu’est-ce sinon piétiner les principes d’égalité et de non discrimination sur lesquels repose notre société ? Qu’est-ce, sinon une posture irresponsable conduisant à opposer les générations et les catégories sociales au moment où notre pays a le plus besoin de cohésion et d’apaisement. Un contrat de dupes !
Cette idée de confinement des vieux rôde depuis le début de l’épidémie. Faute d’avoir réussi à tester, tracer et isoler les personnes contaminées, donc contaminantes, d’aucuns sont tentés par des solutions absurdes et dangereuses. Cette mesure pose d’énormes questions éthiques, sanitaires, sociales et juridiques. Ce serait l’engrenage de la stigmatisation et de la ségrégation. Ne faisons pas des personnes âgées les boucs émissaires de cette crise. Le degré de civilisation d’une société se mesure à l’attention qu’elle porte aux plus fragiles. Réjouissons nous, en cette occurrence, que les conseilleurs ne soient pas décideurs…

 

Marcel Royez, consultant social, fut conseiller social à l’ambassade de France au Maroc de 2007 à 2014, après avoir été secrétaire général de la FNATH de 1988 à 2007. Il fut l’un des membres fondateurs du CISS (aujourd’hui France Assos Santé représentant les usagers).
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