La présidence estonienne du Conseil européen en 2017 aura été résolument orientée vers l’avenir. Le pays balte a fait de la construction d’une Europe numérique, et de la libre circulation des données, l’une des priorités de sa présidence.
Retour sur la conférence de Tallinn, en octobre dernier, qui a précisé les ambitions européennes en matière d’e-santé.
Près de 600 experts européens et mondiaux se sont réunis à Tallinn, capitale de l’Estonie, du 16 au 18 octobre dernier pour participer à la conférence au sommet sur l’e-santé, organisée dans le cadre de la présidence estonienne du Conseil européen. Ce pays d’environ 1,5 million d’habitants, qui a fait du numérique une priorité nationale, notamment en matière de santé, a ambitionné tout au long de sa présidence d’impulser une nouvelle dynamique européenne en matière de digitalisation de nos sociétés. Le sommet de Tallinn étant le point d’orgue de cette initiative. Ministres de la Santé, responsables d’assurance-maladie, chercheurs, assureurs… Tout le gratin de la santé digitale était réuni à cette conférence pour échanger sur les expérimentations en cours dans leur pays respectif. A noter une absente de marque, la France ! Regrettable, au moment où l’on se targue de vouloir mettre l’innovation et le digital au cœur des stratégies de santé nationales. Un constat partagé par tous : les systèmes de santé des pays développés ont atteint un degré de maturité organisationnel et économique certain et les progrès en médecine ont permis un gain notable en espérance de vie. Toutefois, les progrès technologiques actuels et à venir ont le potentiel d’aller encore plus loin dans les actions de prévention, dans l’accessibilité aux soins et de renforcer les équilibres macro-économiques de nos systèmes. Les acteurs sont conscients de cette opportunité.
La Commission européenne, par le biais de son commissaire à la Santé, M. Andriukaitis, et le Conseil européen ont clairement indiqué vouloir avancer rapidement sur ces dossiers d’ici à la fin d’année. De cette volonté a émergé le concept de « société numérique de la santé » (DHS ou Digital Health Society). Intégrée à la stratégie digitale du Marché unique, projet phare de la Commission européenne, ce concept est pensé pour être le vecteur commun des initiatives digitales prises par les Etats membres en vue de définir une politique de santé connectée commune.
« En juillet dernier, les ministres de la Santé européens ont affiché leur volonté d’être plus ambitieux en matière d’e-santé, notamment sur le besoin de collaborer davantage sur les données de santé tant au niveau de leur partage que de leur sécurisation […]. Il semble que le moment de faire converger nos efforts est enfin arrivé. Il y a une opportunité fantastique de mobiliser les gouvernements, les professionnels de santé et les acteurs du privé autour d’un projet européen structurant. » Vytenis Andriukaitis, commissaire européen à la Santé et à la Sécurité alimentaire.
La santé numérique dans la société
En affirmant en marge de la déclaration de lancement de la DHS que «les données de santé doivent être libres de circuler dans l’espace européen de manière sécurisée à l’instar des personnes, des marchandises et services», le ministre estonien de la Santé et des Affaires sociales, Jevgeni Ossinovski, a, en quelque sorte, « mis les pieds dans le plat ». Cette position liminaire est-elle uniquement liée à la philosophie globale du système de santé estonien, qui consacre les techniques liées au digital au cœur de son dispositif, ou bien se fait-elle l’écho de l’ambition du projet porté par la Commission européenne ? A priori, un peu des deux. En effet le commissaire chargé des questions de Santé, Vytenis Andriukaitis, a tenu un discours ambitieux sur l’opportunité qu’offre le développement de l’e-santé et plus particulièrement les données de santé. Des systèmes de santé plus accessibles, des soins plus personnalisés, une optimisation des coûts, la création de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités économiques, etc. Le commissaire en est convaincu : la Commission doit porter le projet de création d’une société numérique de la santé à l’échelon européen, s’appuyant sur l’exemple estonien et sur les travaux menés par l’Alliance européenne de la santé connectée (ECHAlliance).
« Toutes les composantes du secteur de la santé ont un objectif commun : créer les conditions de développement d’une société digitalisée dans le domaine sanitaire. […] Les autorités publiques ont un rôle crucial à jouer, mais la bascule ne peut se faire si on n’embarque pas l’ensemble des acteurs de la chaîne de soins. […] Les partenariats public-privé sont à ce jour la meilleure solution pour créer les conditions du changement. » Jevgeni Ossinovski, ministre estonien de la Santé et des Affaires sociales.
Vers une plate-forme européenne de données ?
Toutefois, les décideurs à Bruxelles n’entendent pas revenir sur le principe que la compétence en matière de politique de santé relève de chaque Etat membre. L’objectif est de créer un cadre opérationnel et réglementaire à l’échelon européen, permettant aux pays le souhaitant d’aller plus loin en matière d’inter-opérabilité et de coopération de leurs systèmes de santé. Concrètement, dans les prochains mois, les instances européennes vont tenter d’obtenir l’accord des Etats membres pour mettre en place une structure commune de gestion des données de santé ouverte à l’ensemble des acteurs du secteur. Cette approche pouvant s’apparenter au principe d’open data n’est pas nouvelle. Mais la volonté d’accélérer n’a peut être jamais été aussi forte. Toutefois, la Commission reconnaît deux limites à cette démarche. Il faudra en passer dans un premier temps par une (difficile) phase d’harmonisation des dispositifs réglementaires entre les pays membres. Cette phase devra être accompagnée de campagnes de communication d’envergure, car les aspects culturels et sociaux ne peuvent être mis de côté.
Le commissaire Andriukaitis reconnaît à ce sujet que l’UE doit progresser pour faire passer l’idée d’une « Europe de la santé » du concept à la réalité. La seconde limite tient au caractère volontaire de la démarche. Le risque de créer une Europe de la santé à deux vitesses, entre ceux qui veulent aller plus loin en matière de coopération et d’échanges en e-santé et ceux plus prudents sur ce sujet, est-il réel ? Possible, mais comme le revendique Mme Kaljulaid, la présidente de la République estonienne, en conclusion de cette conférence, « Nous devons avancer, car, si ce ne sont pas les institutions ou les gouvernements qui impulsent le basculement dans une nouvelle ère, nos concitoyens, eux, ne nous attendront pas ».
A retenir:
- Un sommet européen sur l’e-santé était organisé à Tallinn du 16 au 18 octobre dernier
- La Commission européenne veut aller plus loin en matière de numérique en proposant la création d’une base de données de santé commune aux Etats membres.
- Plus de 600 participants experts à ce sommet européen, mais aucun représentant français ne s’est déplacé !