Tour d’horizon de l’actualité du Fonds CMU-C avec Marianne Cornu-Pauchet, sa directrice, qui a pris ses fonctions en mai dernier.
Pêle-mêle, les questions abordées portent sur les effectifs de bénéficiaires de l’ACS et de la CMU-C, l’évolution de l’assiette de la taxe de solidarité additionnelle (TSA) en 2016, la consommation médicale des bénéficiaires de la CMU-C. Un échange particulièrement riche.
Les effectifs CMU-C et ACS sont en augmentation. Attribuez-vous cette évolution à une hausse de la pauvreté liée aux effets de la crise ou plutôt à un effet mécanique suite au relèvement des seuils d’attribution ?
Les derniers chiffres de l’Insee font état d’une hausse du taux de pauvreté de 1 point depuis 2008, et de 0,3 point entre 2013 et 2015, pour s’établir à 14,3% de la population française. Il y a donc un effet lié à la pauvreté, et à son intensification avec la crise. Mais l’augmentation du plafond de la CMU-C et de l’ACS de juillet 2013 a également contribué à la hausse des effectifs. Environ 1 million de personnes supplémentaires ont accédé à la CMU-C et à l’ACS grâce à cette mesure. Dans le même temps, la lutte contre le non recours a continué.
In fine, les effectifs ont fortement progressé avec une augmentation de 25% entre 2010 et 2015 pour la CMU-C, qui couvre 5,5 millions de personnes aujourd’hui. Le nombre de personnes ayant obtenu un chèque ACS est passé de 630 000 à 1,5 million, mais se pose encore la problématique de l’utilisation effective de ce chèque (20% ne l’utilisent pas).
Pour 2016, selon nos données provisoires, la croissance des bénéficiaires de la CMU-C a ralenti sensiblement car la montée en charge du relèvement des plafonds s’est achevée depuis mi-2015, et les taux de croissance sont revenus aux niveaux antérieurs à la réforme, c’est-à-dire autour de 2-3%.
Pour l’ACS, après un fort ralentissement en 2014, nous avons observé une hausse des attestations délivrées de 12% en 2015 et de 8% en 2016.
Ces fortes hausses sont clairement dues à la réforme du dispositif de juillet 2015, les efforts de communication et d’accompagnement ont permis sa bonne appropriation.
Bien sûr, il est toujours délicat sur le plan technique d’arriver à isoler ce qui relève des réformes et d’une évolution spontanée.
Et quelles étaient les grandes tendances de la CMU de base, désormais remplacée par la Protection universelle maladie (Puma) ?
Depuis le 1er janvier 2016, la CMU de base a été intégrée dans le dispositif plus large de la Puma. L’analyse du Fonds CMU-C porte surtout sur les personnes bénéficiant de la Puma au titre du RSA socle, soit les ¾ des bénéficiaires de la Puma. Ils disposent d’un accès de plein droit à la CMU C et représentent les personnes les plus éloignées de l’emploi.
Mi-juin 2016, 1,8 million de personnes étaient bénéficiaires de la Puma au titre du RSA et 80% d’entre eux avaient recours à la CMU-C.
En termes de consommation médicale, les bénéficiaires de la CMU-C et de l’ACS se situent-ils plutôt dans une forme de parallélisme par rapport à la population globale ou constatez-vous une forme de « rattrapage » ?
Les évolutions des dépenses de santé par tête des bénéficiaires de la CMU-C sont complétement parallèles à celles des dépenses de la population générale. Nous observons même plutôt l’effet inverse d’un phénomène de « rattrapage » : leur rythme d’évolution est plus faible.
Des freins subsistent, la population couverte par l’ACS et la CMU-C a du mal à se sentir concernée par certains soins coûteux, en particulier dentaires, pourtant bien remboursés par le panier de soins dentaire CMU-C. Ces constats nous ont été relayés par la Croix rouge et d’autres associations.
La revalorisation des plafonds s’est traduite par une arrivée de bénéficiaires, qui a mécaniquement joué à la baisse sur la dépense moyenne. Mais nous observons toujours la même dynamique, alors que les effets de la mesure sont derrière nous.
Pour les soins longs, l’arrivée massive de bénéficiaires en 2013 et 2014 s’est traduite un ou deux ans plus tard par un accroissement de la dépense sur les soins dentaires. Des décalages sont donc observés, en particulier pour ce poste de soins.
Un déficit d’explications sur le coût moyen de la CMU-C subsiste, nous allons créer cette année un observatoire sur le suivi de la dépense. Il associera les Cpam et les partenaires du fonds concernés.
La complexité juridique et pratique des trois contrats ACS mis en place par la réforme a été parfois critiquée, le fonctionnement est-il stabilisé ? Les bénéficiaires se sont-ils appropriés le nouveau dispositif ? Et les complémentaires?
Cette réforme a suscité beaucoup de réserves, y compris de la part de la Cour des comptes qui pointait le risque d’éviction lié au basculement des bénéficiaires vers les nouveaux contrats sélectionnés par l’Etat dans le cadre de la mise en concurrence. Mais nous n’avons pas constaté de rupture dans l’évolution des effectifs. Les 11 groupements d’organismes complémentaires (OC) retenus couvraient déjà 80 % des bénéficiaires de l’ACS avant réforme, mais l’enjeu portait néanmoins sur 20%, ce qui n’est pas négligeable. Le bilan est positif, grâce à une forte mobilisation des 11 groupements, accompagnés par le Fonds CMU-C.
Concernant les bénéficiaires, une enquête pilotée par la Cnamts a montré que le choix de l’organisme peut s’avérer complexe avec parfois des incompréhensions.
Du côté des OC, nous n’avons pas eu de retours négatifs, éventuellement quelques inquiétudes sur l’équilibre des contrats pour l’avenir ou des interrogations sur le renouvellement de l’appel d’offres en 2018.
Les complémentaires sont finalement peu présentes dans la gestion de la CMU-C, et le recul semble s’accentuer. Comment interprétez-vous cette situation ?
En 2006, 253 OC étaient inscrits sur la liste des acteurs souhaitant proposer les contrats CMU-C , contre 251 aujourd’hui. Mais en 2008, ils étaient 558. Cette augmentation était liée à une mesure de la loi de finances rectificative prévoyant des exonérations d’impôt sur les sociétés et de taxe professionnelle sur le chiffre d’affaires, avec comme condition l’inscription de ces OC sur la liste des OC volontaires pour gérer la CMU-C. In Fine, cette mesure n’a pas été mise en œuvre, et depuis nous assistons à un retrait régulier mais pas non plus colossal, surtout compte tenu du phénomène de fusions et de regroupements. La mesure de 2013 instaurant un remboursement des dépenses de CMU-C plafonné aux dépenses réellement engagées et dans la limite d’un forfait annuel par bénéficiaire a aussi refroidi les OC.
Nous observons depuis 2012 une baisse du nombre de bénéficiaires choisissant un OC pour gérer leur CMU-C, malgré l’existence d’un contrat de sortie, qui permet au bénéficiaire dépassant le plafond d’attribution de la CMU-C d’obtenir un contrat avec des garanties similaires à la CMU-C à un tarif fixé par arrêté et très préférentiel. En plus de la complexité à choisir un OC, il faut souligner un manque d’information global.
Comment expliquez-vous la faible progression globale de l’assiette ? D’après les données communiquées, la redistribution des cartes entre les différents opérateurs a été faible, peut-on dire que le tsunami annoncé ne s’est pas réalisé ?
La croissance de notre assiette était de +5% en 2012 ; elle n’est plus que de +1,5 % en 2015, et de 1,3% en 2016. Fin 2015 et début 2016, l’assiette a reculé sur deux trimestres, pour la première fois. Mais il faut être prudent avec l’analyse des chiffres trimestriels. Ces évolutions étaient dues à des ajustements spécifiques de certains OC (modifications techniques tel que des décalages d’émission de primes sans incidence sur l’évolution annuelle de l’assiette).
L’année 2015 marque néanmoins une rupture dans l’évolution de l’assiette. Plusieurs réformes sont intervenues sur la période (Ani, contrats responsables) mais leurs effets ne sont pas encore documentés. Pour l’instant, nous ne voyons pas de « tsunami » et nous ne pouvons pas dire que les évolutions de la TSA sont liées à ces réformes. Plusieurs effets peuvent jouer (effet prix, effet volume) ; il est encore trop tôt, un travail d’analyse est nécessaire et les effets de l’Ani sont encore devant nous.