Entretien avec le Dr Richard Bouton, ancien président du syndicat MG-France, devenu consultant sur les créations de Maisons de santé pluridisciplinaires et de centres de santé. Un point de vue fondé sur une solide expérience du terrain.
La crise démographique médicale va-t-elle s’aggraver selon vous ?
Elle va perdurer. Pour des raisons structurelles. Nous savons tous que les jeunes générations de médecins ne veulent plus s’installer en libéral individuel classique, surtout les médecins généralistes. La situation est encore différente pour les médecins spécialistes qui bénéficient du droit au secteur 2. Nous sommes arrivés au bout d’un système fondé sur les fameuses libertés médicales de la charte de 1927. Depuis la première convention médicale nationale de 1971, l’Assurance-Maladie et l’Etat, également, n’ont eu de cesse d’encadrer l’activité libérale, car il s’agit d’argent public. Mais la crise structurelle s’explique aussi par d’autres facteurs.
Lesquels ?
Durant leurs études, les futurs praticiens sont formés selon une conception élitaire, individualiste et même libertaire de leur métier futur. Pour les généralistes, l’appétence pour un mode d’exercice solitaire sans plateau technique, fût-ce a minima, est faible.
D’autres facteurs jouent aussi. La féminisation, le besoin d’un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, la famille, l’attirance pour des métropoles économiques influent aussi les choix. A cela s’ajoutent les mutations des sociétés, la demande plus exigeante des patients, la place des technologies qui bousculent les pratiques.
Les mesures compensatoires décidées depuis dix ans ou plus sont-elles efficaces pour endiguer cette crise structurelle ?
Elles ont un effet à la marge. Toutes les données dont nous disposons sur la télémédecine, les CPTS, les assistants médicaux pour utiles que soient ces nouvelles pratiques et organisations montrent qu’on est encore très loin de remédier à la crise. Les gouvernements essaient de contenir la situation plutôt que de traiter le fond des enjeux.
Parlons des maires, des élus locaux. Sont-ils de plus en plus inquiets ?
J’ai rencontré et travaillé avec beaucoup d’élus très inquiets, en effet. De tout bord : LR, PS, centristes, même PCF. Tous ont le même langage : quand cela ne va pas, c’est nous qu’on interpelle. Pas le député, pas la Sécurité sociale. Mais nous ne sommes pas responsables de cette situation. Les gens viennent nous voir et réclament un médecin de proximité. J’ai effectué près de 40 missions dans toute la France et, chaque fois, c’est le même constat. La question de l’accès aux soins de première intention devient un leitmotiv des élections municipales.
Que faire alors ?
Cette situation risque de devenir inextricable à défaut d’actions vigoureuses.
Il faut repenser d’urgence la conception de la médecine libérale. Il convient de poser avec clarté les exigences de mission de service public, mais permettre des espaces de liberté aux praticiens. Et puis agir avec pragmatisme. Il faut ainsi donner aux maires, aux élus locaux, des prérogatives, des moyens significatifs pour rendre possibles des initiatives efficaces. Les MSP sont une voie, mais compliquée faute d’entente entre professionnels. Je plaide pour un plan de création de centres de santé. Pas forcément municipaux via des régies, mais selon des modes de gestion différents comme un GIP, une association, quitte à adapter son format. La question du foncier importe. Et puis il faut garantir l’équilibre des coûts des centres où le tiers payant pèse fortement. L’ordonnance de 2018 ouvre le droit au secteur privé, y compris aux cliniques, pour agir. La boîte à outils existe, certes, mais manque une forte volonté politique.