Alors que la question du financement de la perte d’autonomie revient sur le devant de la scène avec un prochain projet de loi et une concertation, ESE dresse un état des lieux de l’assurance dépendance et revient sur les freins et les pistes de développement.
Après interventions de l’assurance- maladie et de l’APA (23,7 milliards d’euros en tout), les personnes en perte d’autonomie assument 6,3 milliards de reste à charge, dont 3,8 milliards au titre de l’hébergement. Pourtant, l’assurance dépendance peine à décoller. Fin 2014, 6,8 millions de personnes avaient souscrit ce type de contrat. Parmi elles, 3,1 millions étaient couvertes par une mutuelle, 3,4 millions par des sociétés d’assurances et 0,3 million par des IP, selon les chiffres repris par le Haut Conseil de l’enfance de la famille et de l’âge (HCFEA) dans un rapport rendu l’année dernière.
Faible appétance
Pour expliquer cette faible percée, plusieurs constats. D’abord, la majorité des acteurs sont peu mobilisés sur ces produits. Pourtant, des offres ont été mises en place sans contrainte de l’Etat, alors pourquoi cette réticence ? Une incertitude pèse également sur les besoins et les solutions à apporter : cette assurance doit-elle couvrir le RAC, fournir un complément de revenu ? Proposer des services d’accompagnement, un soutien aux aidants ? L’effet différé joue aussi contre la souscription : la perte d’autonomie intervient en moyenne à 81 ans, avec quatre à cinq ans de durée de vie. Des freins psychologiques et une forme de déni sont également attachés à cette couverture. Et le caractère aléatoire du risque, avec parfois une cotisation « à fonds perdus », pousse les assurés potentiels à se replier vers l’épargne ou d’autres solutions. Certains Ocam ont conduit des initiatives visant à améliorer cette couverture. La FFA a lancé le label GAD, instaurant une définition basée sur des Actes élémentaires de la vie quotidienne (AVQ), une garantie viagère et un niveau minimal de rente en cas de dépendance lourde. Côté non lucratif, l’Ocirp et la Mutualité française ont créé le Lab Autononomie pour conduire une réflexion conjointe.
Réforme
La prochaine loi sur le financement, attendue pour fin 2019, et la concertation pilotée par Dominique
Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale et ex-DSS, pourraient ouvrir la voie à un réel essor. D’autant plus que la facture totale de la prise en charge atteindrait jusqu’à 2,78 points de PIB en 2060, selon la Drees. «Jusque-là, l’assurance dépendance n’a pas décollé pour deux raisons. La première repose sur une incertitude : jusqu’où va aller la générosité du service public ? Nous attendons désormais que l’Etat fixe les règles du jeu, dans le cadre de la loi sur le financement annoncée par le président de la République, pour nous permettre de jouer notre rôle d’assureur complémentaire. La deuxième raison concerne le manque de confiance dans les contrats dépendance. Certains exemples ont démontré l’absence de coordination entre l’assurance publique et l’assurance privée, puisque chaque opérateur a recours à des critères différents pour déterminer la dépendance », observe Pierre Mayeur, directeur général de l’Ocirp. « En tant qu’assureur complémentaire, nous nous baserons sur la grille Aggir établie par les pouvoirs publics, en souhaitant être associés à son évolution », poursuit-il.
L’union d’organismes de prévoyance propose un contrat en points, intégrant une rente minimale garantie, mis en place par accord collectif. La cotisation est partagée entre l’employeur et le salarié, permettant à ce dernier d’obtenir un capital. S’il part à la retraite ou poursuit sa vie professionnelle dans une autre structure, les points sont conservés et le compte peut être alimenté via une cotisation individuelle grâce à un mécanisme de type portabilité. « L’enjeu pour nous porte sur la vigilance d’information vis-à-vis des salariés qui quittent l’entreprise pour pouvoir les inciter à continuer à cotiser », souligne Pierre Mayeur. L’Ocirp couvre 150 000 personnes avec une garantie à vie et plaide pour une approche globale de la dépendance. Une offre destinée aux salariés aidants cumulant services et aide financière vient ainsi d’être lancée.
Inclusion obligatoire
Autre approche, celle des mutuelles de fonctionnaires. Les couvertures sont généralement annuelles en inclusion obligatoire d’une complémentaire santé et/ou prévoyance. « Si l’adhésion à l’offre santé demeure facultative, y compris dans le cadre du référencement par le ministère, un agent bénéficie de la couverture dépendance dès qu’il souscrit à l’offre MGEFI, quel que soit son âge. Et s’il adhère dans les cinq premières années de son entrée dans la fonction publique, la souscription se fait sans questionnaire de santé, autrement dit sans sélection médicale afin de couvrir le plus grand nombre », explique Christian Pasquetti, directeur général de la mutuelle. La couverture est annuelle et l’ensemble des agents du ministère de l’Economie et des Finances, actifs ou retraités (soit 230 000 personnes), contribuent au financement du risque. La prestation se déclenche pour les GIR 1 à 3, avec une rente mensuelle de 520 euros en Ehpad, 260 euros à domicile. « La cotisation se situe entre 4 et 8 euros par mois. C’est bien cette mutualisation avec le plus grand nombre, permise par le montage santé + prévoyance en inclusion obligatoire, qui permet de proposer ce niveau de tarif. Nous proposons également des contrats facultatifs pour compléter ce premier socle de protection contre le risque dépendance », ajoute le DG de la MGEFI. Lors du dernier référencement fonction publique, l’inclusion obligatoire a été maintenue uniquement pour la MGEFI. Toutefois, la plupart des mutuelles de fonctionnaires continuent de proposer leur modèle historique, hors contrat sélectionné par le ministère. « De par notre modèle d’affaires multi-partenarial, nous disposons d’une gamme très étendue qui intègre toutes les dimensions et l’ensemble des besoins des personnes en perte d’autonomie. Elle couvre les services tels que l’assistance et la prévention – avec notamment Age d’Or Services, Filassistance et la plate-forme Lyfe – et l’assurance. Nous pouvons intervenir en tant qu’assureur avec des produits individuels viagers, facultatifs à l’adhésion, et avec sélection médicale. Ces offres représentent un peu la « Rolls » de l’assurance dépendance avec un package très complet, mais elles ont un coût », pointe Laure Châtel, directrice du département économie sociale chez CNP Assurances. Par exemple, pour percevoir une rente de 300 euros en dépendance partielle et 600 euros en dépendance totale, la prime atteindra environ 48 euros par mois pour un assuré âgé de 60 ans. Ces offres sont labellisées GAD. « CNP Assurances est aussi très présent sur le modèle par répartition porté par les mutuelles de fonctionnaires en particulier, qui sont nos partenaires historiques. Nous embarquons automatiquement tous les membres de la mutuelle de 18 à 110 ans. Les cotisations sont destinées à faire face aux sinistres de l’année, avec une répartition entre les assurés. Contrairement aux produits individuels qui tiennent compte du risque de l’individu sur toute sa durée de vie, dans une logique de lissage sur une seule tête », complète la directrice. Le groupe couvre plus 3 millions de personnes en tant qu’assureur ou réassureur via le modèle mutualiste et 190 000 en individuel.
« Nous, assureurs, devons progresser pour permettre une meilleure accessibilité et lisibilité de l’offre. Chez CNP Assurances, nous conduisons toute une réflexion pour repenser le parcours en assurance dépendance dans l’objectif de développer des produits plus simples, moins coûteux et plus accessibles à tous. Il s’agit notamment de s’adresser aux personnes qui en ont le plus besoin, en l’occurrence les plus modestes », poursuit Laure Châtel. L’assureur mise également sur une démarche globale à travers des services autour de l’accompagnement de la personne, de la famille, de l’habitat, etc. Tous les opérateurs s’accordent d’ailleurs sur le caractère indispensable de ces prestations.
Développement
Le HCFEA a proposé trois scénarios pour développer l’attractivité de ces couvertures : mise en place d’incitations fiscales et/ou sociales, généralisation de l’inclusion obligatoire ou de l’adossement dans les contrats de complémentaires santé, développement d’une assurance privée obligatoire. Le Conseil d’analyse économique (CAE) a défendu cette dernière solution dans un rapport de 2016. Thierry Beaudet, président de la Mutualité française, s’est également prononcé en faveur de cette piste. D’ici à la fin de l’année, la fédération présentera ses propositions concernant le financement de la dépendance, la prévention et l’offre de services et d’accompagnement.
Des discussions sont en cours avec les autres familles (FFA et CTIP) pour travailler ensemble sur cette question.